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Convoi 77 : Sur les traces de Jankiel Fensterszab, en quête d’Histoire

Publication : (actualisé le ) par C. Brunot, Claire Podetti

C’est en mai 2016, de retour du Mémorial de la Shoah que nous avons décidé de participer au projet Convoi 77 en rédigeant la biographie de Jankiel Fensterszab (Voir Annexe 1). En travaillant sur Jankiel, comme nous l’appelons aujourd’hui, nous voulions redonner vie à un anonyme, un oublié de l’histoire, retracer le parcours d’un immigré de la première génération, fuyant la misère et l’antisémitisme de la Pologne des années 1910. Nous avons choisi Jankiel Fensterszab dans la liste des 1321 personnes recensées par les Klarsfeld parce qu’il était le père d’Ida Grinspan que nous connaissons bien car elle vient témoigner tous les ans au collège.

La première chose fut de demander à Ida si elle acceptait que nous travaillions sur son père à partir de ses souvenirs d’enfance. Merveilleuse Ida, elle n’a pas eu l’ombre d’une hésitation et a tout de suite accepté cette proposition allant chercher les seuls documents qui lui restaient de son père : un dé à coudre, un faire-part de mariage et quelques photographies… Cette rencontre nous a donné les premiers éléments de la vie de Jankiel Fensterszab : la naissance en Pologne, le mariage à Berlin, la fondation d’une famille en France

Mais comment raconter sa vie d’avant la Shoah ? Tenter de le faire revivre alors que nous avions si peu de traces ? Comment écrire sa biographie pour être au plus prêt de son quotidien avec ses moments de joie mais aussi de tristesse ?

C’est par ces questions que nous avons présenté le projet aux élèves dès le mois de septembre. Véritable travail d’enquête historique, il fallait que les élèves se mettent dans la posture de l’historien, à la collecte de sources écrites et orales puis à leur questionnement.

Interviewer Ida, aller chercher des documents dans les mais aussi nous rendre sur les lieux où avait vécu Jankiel à Paris et à Berlin (Voir vidéo du voyage). Tels furent les trois principaux axes de notre démarche pour mener cette enquête.

Si les élèves ont mené les interviews d’Ida, il ne nous a pas été possible de les amener aux archives, mais nous les avons associés à chacune des découvertes. Nos premières recherches aux archives (mairie de Paris, Fonds Bad Arolsen/Mémorial de la Shoah) ont vite montré leurs limites. Les quelques documents qui nous étaient envoyés ou que nous trouvions étaient ceux que nous possédions déjà. Ce sont les rencontres avec Ida qui ont permis dans un premier temps de donner corps à ce projet. Puis aux archives nationales de Pierrefitte notre enquête a rebondi. Un dossier individuel avait été créé par le service du contrôle général des étrangers au nom de Jankiel Fensterszab. Des documents nous ont fait penser que Jankiel et sa femme avaient peut-être initialement prévu de se rendre au Portugal, pour rejoindre l’Amérique du Sud. Ils se seraient arrêtés à Paris car Chaja était enceinte du grand-frère d’Ida, et ne seraient plus repartis. Mais tout ceci n’est qu’hypothèse. Nous avons également appris que Chaja était veuve et divorcée avant de se marier.

Mais comment annoncer à Ida la découverte d’archives qu’elle ne connaissait pas ? Didier Lesour, le comédien qui travaillait à l’écriture de la pièce de théâtre pouvait-il les inclure ? Nous avons partagé avec les élèves ces interrogations, et toutes celles qui ont surgi au fur et à mesure des progrès de notre enquête pour tenter d’y répondre ensemble. Nous avons réalisé que de nombreuses questions resteront sans réponse et qu’il faudrait en rendre compte dans notre biographie : ce vide, ces blancs que nous ne comblerons pas, car il n’y a plus de traces. Les élèves ont pris conscience que c’est cela aussi la Shoah : la disparition de personnes, de familles mais également de tous les objets, photos, documents qui pourraient nous permettre de reconstituer ce que fut leur vie.

Le 27 Janvier 2018, lors de la journée de la mémoire des génocides et de la prévention des crimes contre l’humanité, les élèves ont présenté le projet à madame la ministre Najat Vallaud-Belkhacem

Les ateliers de théâtre (toute l’année) et de pratiques plasticienne (à Belleville et à Berlin) ont donné à ce projet une dimension artistique qui nous paraît essentielle. Ils ont permis à chacun de s’investir en fonction de ses appétences, de sa sensibilité, de sa personnalité. Si toute la classe a participé au club théâtre, chacun a choisi sa place : certains élèves sont devenus acteurs, d’autres costumiers, d’autres encore techniciens du son et des lumières, une élève a fait un reportage photographique (Voir annexe 2 - pièce de théâtre).

La diversité des œuvres réalisées à Belleville puis à Berlin lors de l’atelier artistique témoigne de la grande liberté laissée à chacun de s’exprimer en créant une œuvre, fut elle la plus minimaliste possible (Voir Annexe 3). La richesse de toutes ces productions montre que ce projet est bien davantage qu’une simple réflexion sur la Shoah.

En participant à ce projet nous voulions mener avec les élèves un véritable travail d’enquête historique en les initiant très modestement aux méthodes de l’historien : chercher des sources, les questionner émettre des hypothèses, les mettre à distance, mais également aux exigences d’un texte littéraire puisqu’il s’agit de rédiger une biographie. Le résultat est à la hauteur nos attentes ! Les élèves ont produit un texte riche de toutes ces exigences, qu’ils ont ensuite traduit avec leur professeur d’Anglais. Nous, enseignants, avons également rédigé une biographie de Jankiel afin de laisser aux futurs historiens qui travailleront sur le Convoi 77 des sources, des archives, des documents que notre enquête nous a permis de réunir. (Voir Annexe 1).

Mais ce projet, ce sont aussi et peut-être surtout de belles rencontres qui nous ont permis d’avancer de progresser dans notre enquête, d’ouvrir de nouveaux horizons, de nouvelles possibilités : Georges Mayer bien sûr mais aussi Ida Grinspan, Louise Gamichon, Jean-Yves Potel, Madame Combret, Monsieurr Kepa, Brigitte Sion, Rachel Samacher, Anni Snanoudj, les résidents de la maison de retraite, Jérémy, les élèves de l’orchestre et de la chorale qui nous ont rejoints au cours de l’année… Tous ces liens que nous avons tissés ensemble ont permis de faire de ce projet un véritable projet collectif, où les différences de chacun sont d’abord une richesse, un projet dans lequel chacun a grandi un peu au contact des autres. Ce sont de belles leçons d’humanité qui dépassent le cadre scolaire. Car c’est aussi et grâce à l’implication, à l’engagement de chacun que ce projet a pu se réaliser collectivement du début à la fin. Nous voulions un projet de classe afin de réaliser une performance artistique qui soit la somme de tous les investissements de chacun. Les 29 et 30 mai, les deux soirées consacrées à la restitution de ce projet furent des moments intenses, émouvants, où l’implication de chacun a été nécessaire à la réalisation de l’ensemble.

Les questions qui nous ont guidés lors de l’élaboration de ce projet portaient sur différentes thématiques mais toutes convergeaient vers une question essentielle : sur quelles valeurs communes voulons-nous construire la société de demain ? Ce sont bien les valeurs universelles de liberté, de dignité, d’égalité et de solidarité qui ont été questionnées lors des différentes phases de ce projet. Nous voulions amener les élèves à prendre conscience que l’histoire n’est pas une simple succession d’événements, elle résulte de choix antérieurs et que les choix actuels déterminent notre avenir collectif. Il est nécessaire de connaître l’histoire pour pouvoir s’en libérer et préparer un monde tolérant et ouvert sur l’altérité.

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